L’homme face à l’angoisse

En relisant des philosophes comme Kierkegaard ou Heidegger, on s’aperçoit que l’angoisse existentielle inhérente à la condition humaine n’est pas une fatalité en soi. La vie sociale peut se définir en tant qu’ouverture/fermeture sur les tonalités existentiales (Stimmung) comme l’angoisse, l’ennui, l’absurde, la facticité inhérentes à toute existence humaine.

De fait, l’angoisse existentielle n’est pas seulement un sentiment ou un état psychique, elle est cette tonalité existentiale qui permet à l’individu de se construire psychologiquement et socialement soit en luttant contre elle, soit en la banalisant, soit en l’intégrant dans un dispositif rituel.

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L’analyse de Heidegger nous permet de rendre compte de la manière dont les relations sociales se renforcent à la mesure de l’ouverture de l’homme à l’existence authentique (la manière dont l’homme accepte l’angoisse). Plus une personne s’ouvre à l’existence authentique, et plus elle intègre son être-avec (sa disponibilité à l’autre). Plus elle s’en éloigne (existence inauthentique), et plus elle maintient une instabilité relationnelle. La cohésion psychosociale tient essentiellement à la manière dont les personnes s’ouvrent à l’angoisse existentielle au lieu de la refouler. Heidegger observe ainsi un renforcement de la mutualité sociale au fur et à mesure que les hommes s’éveillent à l’angoisse existentielle, acceptent de l’affronter et de la canaliser. Au contraire, plus l’angoisse est refoulée, et plus la névrose se renforce. La capacité des personnes à s’ouvrir à l’angoisse existentielle, à l’accepter et à l’homéopathiser, détermine la formation d’un homme total au sens jungien, c’est-à-dire un homme sachant équilibrer les tensions et les conflits habitant en lui-même.

On peut prendre l’exemple de ces résidents en conflit avec des toxicomanes qui ont investis leur immeuble. Du fait d’un impossible dialogue entre résidents et toxicomanes et d’une absence d’intervention de la part de la police, une angoisse s’est imposée aux résidents les contraignant à sortir de leur isolement et de leur névrose éventuelle et à s’organiser en association. L’angoisse fait surgir un besoin de soutien et de proximité avec autrui, un besoin de reliance qui rassure et offre des moyens psychosociaux de trouver une harmonie possible avec soi-même et autrui.

L’angoisse n’est jamais une tonalité définitivement effacée ou annihilée, elle est constamment au cœur de la vie des hommes. L’angoisse lorsqu’elle est canalisée peut alors servir à mieux gérer ses tensions névrotiques ou à renforcer la cohésion d’un groupe peu structuré ou inexistant. Dans une société instable, l’angoisse peut avoir pour effet de reconstituer des liens sociaux et favoriser les processus d’intégration.

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