Rapport de soutenance de thèse (2009)

Le candidat, M. Frédéric Vincent, dans un exposé à la fois riche et clair de quinze minutes, présente dans un premier temps les raisons qui l’ont amené à développer la notion d’imaginaire initiatique : tout d’abord une passion pour tout un ensemble d’œuvres fictionnelles (Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, Star Wars de Georges Lucas ou encore Harry Potter de J.K. Rowling).

A cela s’ajoute un mémoire de master sous la direction de Michel Maffesoli qui porte sur l’usage initiatique du corps dans la Franc-maçonnerie ainsi qu’une réflexion sur les nouvelles formes de socialité dans les sociétés postmodernes. Le candidat expose ensuite les différents courants scientifiques qui ont servi à ses grilles d’analyse : l’histoire des religions avec Mircea Eliade (la thèse s’inspire par ailleurs d’une idée directrice de l’œuvre d’Eliade, à savoir la survivance des thèmes initiatiques à travers la littérature), l’analyse existentiale de Martin Heidegger, la mythanalyse de Gilbert Durand, la méthode de la complexité d’Edgar Morin, la sociologie du quotidien de Michel Maffesoli ou encore la théologie de Rudolf Bultmann. Après avoir rappelé les nombreuses difficultés rencontrées au cours de la recherche, Frédéric Vincent conclut son exposé en reprenant ce qui semble être la principale contribution de son travail : une sociologie existentiale qui se propose de comprendre les relations sociales à partir des tonalités (Stimmung) qui fondent le Dasein comme l’angoisse, l’ennui, la violence, le choc du contingent, l’errance. Le candidat insiste bien sur le fait que sa thèse porte essentiellement sur la manière dont l’imaginaire initiatique intègre ces tonalités existentiales et  crée un dispositif symbolique qui renforce la cohésion sociale.

 

Le Professeur Patrick Tacussel, professeur à l’Université de Montpellier, directeur de la thèse, remercie les membres du jury d’honorer cette soutenance de thèse de leur présence, en particulier le Professeur Baudouin Decharneux (Université Libre de Bruxelles, membre de l’Académie Royale de Belgique) qui en assure la présidence. Le Professeur Patrick Tacussel exprime d’emblée sa satisfaction de voir cette recherche originale et de grande qualité arriver aujourd’hui au stade de son évaluation.

 

Dans un premier temps, le Professeur Patrick Tacussel entend souligner la bonne tenue de ce travail sur le plan formel. Monsieur Frédéric Vincent présente une thèse intitulée: De l’imaginaire initiatique. Les mythes postmodernes ou le dépassement de l’existence tragique, composée d’un volume de 428 pages, dont 10 pages d’annexes et une bibliographie parfaitement adéquate au sujet traité de près de 120 références organisée de façon thématique. Le Professeur Patrick Tacussel regrette l’absence d’index et des noms des traducteurs d’ouvrages étrangers publiés en français cités dans la bibliographie. La thèse est écrite dans un style châtié, qui rend la lecture d’autant plus agréable que l’on compte assez peu de fautes d’orthographe, de grammaire ou de syntaxe. Le soin que le candidat a consacré à la présentation de son étude est indéniable. Les citations d’auteurs n’envahissent pas le texte et elles sont toujours avancées de façon judicieuse et opportune pour solidifier le propos et ouvrir la discussion. Ainsi, lorsque Frédéric Vincent fait appel aux maîtres les plus classiques de la sociologie, de l’anthropologie ou de l’histoire des religions, aux philosophes qui nourrissent le développement de sa pensée, il interroge leur pertinence vis-à-vis de sa problématique sans chercher à s’abriter frileusement derrière leur autorité intellectuelle. Ce point mérite d’être souligné, car le candidat fait preuve d’une authentique maîtrise des références qu’il convoque toujours à bon escient. Pour clore sur ces considérations de forme, le plan de la thèse annoncé pages 4 à 6 est rigoureux et suivi sans égarement. L’introduction présente la problématique et les hypothèses (p. 7 à 35), le document est ensuite composé de quatre parties elles-mêmes divisées en quatre chapitres avant d’aboutir à une conclusion qui récapitule les principaux points forts de la thèse et ouvre sur un questionnement plus général sur le sacré et l’initiatique dans les sociétés contemporaines.

 

Le Professeur Patrick Tacussel entreprend ensuite l’examen de la thèse sur le fond. Selon lui, Frédéric Vincent apporte une contribution vraiment originale à la sociologie de l’imaginaire et des pratiques symboliques en proposant une recherche sur les usages initiatiques dans nos sociétés contemporaines. En effet, si ce thème fait l’objet de travaux classiques et renouvelés de la part des ethnologues et des anthropologues, la sociologie ne s’est guère penchée sur la question spécifique de l’initiation dans la culture post-traditionnelle, sans doute davantage préoccupée des formes modernes de la transmission des savoirs et des rythmes de la vie dans la civilisation progressiste issue de la philosophie des Lumières, elle a négligé, au nom d’une conception étouffante de la raison, la permanence de faits initiatiques et la résurgence de son attrait dans le monde actuel. En définissant la postmodernité comme « une zone de haute pression imaginaire » (p. 14 à 18), le candidat montre – à la suite de Gilbert Durand – que notre époque n’est en rien différente de celles, plus anciennes, où l’affrontement au destin et à la mort était indissociable d’une série d’épreuves visant à métamorphoser le sujet pour lui permettre de renaître à une existence nouvelle. Sur le plan épistémologique, Frédéric Vincent s’inscrit dans le paradigme de la complexité (Edgar Morin), qu’il combine avec l’exploitation des régimes de l’imaginaire de Gilbert Durand et l’anthropologie des mythes de Joseph Campbell, l’histoire comparée des religions de Mircea Eliade. Ce triple socle l’invite à reconsidérer la fonction du fantastique à l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication, tout en élargissant son exploration aux productions littéraires et cinématographiques qui témoignent d’un réenchantement du réel (Harry Potter, Star Wars, Le Seigneur des Anneaux). Les annexes, qui accompagnent le travail (p. 418 à 428), indiquent le souci de la mise en perspective empirique de ces analyses.

 

La première partie de la thèse, intitulée: « D’un besoin de détermination sociale », s’appuie principalement sur l’idée heideggerienne de l’homme en tant qu’ « être-pour-la-mort ». Loin de s’abandonner à une spéculation purement philosophique, le candidat se livre à une traduction des vues de l’auteur de Être et Temps sur le plan sociologique. Le Professeur Patrick Tacussel souligne ainsi que la condition de l’homme est inséparable du caractère tragique de son existence, dont les mythes intègrent le continuum dans la vie sociale. Ainsi, l’initiation et ses mystères visent à préparer ce dernier à sa confrontation avec le cosmos, le monde commun et la nature. L’imagination politique, assise sur la fonction transcendantale de l’esthétique (cf E. Kant), est le propre de l’homo sapiens qui est aussi homo demens, c’est-à-dire capable d’apprivoiser les visages du temps à travers des constructions imaginales qui vont donner naissance à des figures mythiques et à des rituels. Parmi ces derniers, l’initiation demeure le plus fondamental parce qu’il implique l’expérience de la mort symbolique pour dominer l’angoisse de la finitude et sa sombre échéance. En cela, comme le développe Frédéric Vincent (p. 115 à 119), l’initiation répond à une détermination sociale transhistorique quelques soient ses modalités particulières dans la diversité des espaces culturels. Essentielle dans les communautés traditionnelles qui savaient intégrer le désordre pour ruser avec ses effets dévastateurs pour le « vivre ensemble » et l’équilibre du groupe, elle retrouve aujourd’hui sa place manifeste dans le syncrétisme des valeurs qui combine, au sein de la civilisation …… et trop hâtivement définie comme matérialiste, la fascination pour les objets high tech, la consommation des medias de masse et un « sacré camouflé » qui en imprègne maints usages.

 

La seconde partie (p. 120 à 214), nommée: « L’existence mythique comme condition de l’être-ensemble », revient sur les travaux d’Emile Durkheim consacrés à l’origine de la vie religieuse, au totémisme, à la distinction du sacré et du profane. Le candidat ne s’abandonne point à un commentaire convenu sur le maître de la sociologie française dont il montre néanmoins une parfaite connaissance. Son propos est d’emblée prospectif. Frédéric Vincent s’attarde sur la puissance du mythe et sa mécanique d’adaptation au contexte de la vie contemporaine. En insistant sur la fonction vitale du héros mythique, il indique avec brio comment celui-ci est susceptible de s’adapter au périmètre des sociétés rationalisées par le principe de l’éducation en lui opposant celui de l’école initiatique. La culture juvénile illustre, d’après Frédéric Vincent, ce phénomène à travers les personnages de fiction dont le succès planétaire est attesté. De Forrest Gump à Saint Seiya, en passant par Spiderman et autres Voldemor ou Dark Vador, toutes les antiques célébrités du vieux fond mythologique de l’humanité s’installent désormais dans « l’iconologie postmoderne » (Michel Maffesoli). Ils accomplissent le même rôle dans la projection-identification des adolescents contemporains que ceux qui leur étaient jadis dévolus dans les grands récits légendaires qui servaient de matrices existentielles aux hommes semblablement voués à l’incertitude de leurs destinées mondaines. On retrouve chez les nouveaux héros, portés par la littérature ou le cinéma, les invariants qui faisaient la puissance et la fragilité de leurs lointains prédécesseurs: l’ordalie et l’amour du risque (p. 332 à 338), l’épreuve de la mort initiatique (p. 354 à 359).

 

La troisième partie (« Le réenchantement initiatique du monde », p. 215 à 305) fait suite à une éclairante synthèse qui explore les rapports entre l’initiation, les rites et la reliance (p. 191 à 214). Frédéric Vincent estime que les conditions du retour du sacré sont réunies dès lors que l’idéal prométhéen s’épuise, et avec lui les visions du monde historicistes et progressistes (p. 216 à 229). Selon lui, la postmodernité – qui définit un état de la culture du présent – évolue dans une atmosphère de « remagification » sur la base des incessantes promesses des technologies les plus avancées. Dans ce contexte, on observe la coexistence de contraires (coincidentia oppositorum) qui impulse une dynamique sociale au sein de laquelle les conceptions de la réalité qualifiées habituellement d’archaïques (incision du surnaturel dans la vie courante, investissement magico-religieux des moyens de communication, culte des êtres fantastiques fabriqués par les arts, la littérature, la presse, etc.) composent avec les processus de rationalisation à l’oeuvre dans la société. Le candidat propose de voir à travers les figures mythiques de Dionysos, Hermès et Dédale le triangle imaginal des religiosités postmodernes. Pour cela, il recourt aux travaux de Michel Maffesoli, Gilbert Durand et Georges Balandier pour conclure (p. 380) qu’ « une nostalgie de la rénovation initiatique semble flagrante dans les sociétés postmodernes ».

 

La dernière partie (« Phénoménologie de l’imaginaire initiatique », p. 306 à 403) entreprend d’examiner la dialectique de l’authenticité et de l’inauthenticité dans le cadre d’une analyse existentiale de l’imaginaire initiatique (p. 307 à 331). Frédéric Vincent emploie également l’expression « sociologie existentiale » pour désigner sa démarche, laquelle insiste sur les prolongements socio-anthropologiques des réflexions heideggeriennes sur le Dasein. Cette perspective est d’autant plus intéressante que pour l’heure, la Daseinanalyse est essentiellement du ressort de la psychologie et de la psychanalyse. D’après lui, « le chemin des épreuves initiatiques est donc ce qui rompt avec l’univers rassurant de l’existence inauthentique en plongeant le néophyte dans l’angoisse et la mort. C’est sur un tel socle authentique que l’individu apprend à se dépasser et devenir héroïque » (p. 372). Il eût été judicieux d’introduire à ce propos les vues de Max Weber sur « le désenchantement du monde » (Le métier et la vocation de savant), et en particulier ce qu’il note sur la perte du caractère héroïque chez les modernes, et l’exigence qu’il appelle de ses voeux de se « montrer à la hauteur de quotidien ». L’ultime chapitre de cette partie offre un panorama des imaginaires initiatiques portés par la cybersocialité, la télé-réalité, les mangas et la génération Otakus au Japon. Frédéric Vincent achève ainsi son voyage sur la figure de l’initié à l’ère des identités en ligne et des « communautés émotionnelles » (p. 296 à 301) en pleine explosion avec la multiplication des sites affinitaires.

 

Malgré quelques menues réserves quant à l’exploitation parfois trop limitée des documents choisis pour avancer la démonstration, le regret de constater que certains auteurs – comme Miguel de Unanumo et son analyse profonde du sentiment tragique de l’existence dans la civilisation moderne – n’aient pas été sollicités pour appuyer quelques développements de la première partie, le Professeur Patrick Tacussel félicite Monsieur Frédéric Vincent pour cette excellente thèse dont la publication souhaitable viendra combler une absence de curiosité sociologique à l’endroit des phénomènes initiatiques contemporains.

 

Le professeur Michel Maffesoli, professeur à la Sorbonne, membre de l’Institut de France, prend à son tour la parole. Il souligne d’emblée que la grande qualité de cette thèse est qu’elle apporte un singulier éclairage sur un phénomène social dont on ne peut plus nier la centralité : celui, au-delà des poncifs éculés sur l’individualisme de l’initiation communautaire témoignant d’un glissement sociétal d’importance. Dans la foulée d’autres thèses, soutenues dans le cadre du LERSEM, le travail de Frédéric Vincent honore l’Université de Montpellier. Cette thèse correspond, parfaitement, à ce que l’on attend d’un travail académique outre la rigueur dans l’analyse. On peut, en effet, noter que le plan est cohérent, suivi et conforte une démonstration qui, jamais, ne faillit. La bibliographie semble exhaustive, les annexes judicieuses, toutes choses faisant de ce travail un outil pour les chercheurs concernés. Quant à l’aspect formel, il est intéressant de relever qu’à l’image de ce qu’est le pluralisme de la vie sociale, Frédéric Vincent s’appuie sur des sources théoriques très diverses (Gilbert Durand, Edgar Morin, Mircea Eliade, Martin Heidegger) qui, sans exclusives, se complètent, se relativisent, s’enrichissent mutuellement. En un moment où l’intolérance est, souvent, présente dans les débats sociologiques, un tel « polythéisme » mérite d’être félicité.

 

Un chapitre corrobore cette approche plurielle : « méthode de la complexité » ( p. 24). Est ainsi bien indiquée, l’humilité de la démarche qui fait la caractéristique essentielle de la démarche compréhensive, de Georg Simmel à Max Weber, la confrontation, d’une part d’apports théoriques divers et le rapport que ceux-ci vont avoir avec les « visions du monde » des protagonistes sociaux. Si l’on s’en tient à son étymologie, c’est bien ainsi qu’il faut entendre « cum prehendere ».

 

Le professeur Maffesoli relève, pour sa part, trois éléments essentiels constituant les points nodaux de cette thèse :

 

  • « le désir communautaire» (p. 23)
  • « l’être ensemble comme force divine» (p. 172)
  • « magie et néo-archaïsme » (p. 245)

 

Il faut noter que ces propositions théoriques sont lourdes de conséquence en ce qu’elles accentuent d’une manière « d’en être » ; on pourrait dire, en se référant à Lévy-Bruhl, que cela souligne la participation magique, mystique qui est le propre (sous des modulations différentes) de tous les phénomènes tribaux. Une telle « participation », Frédéric Vincent va l’analyser, avec ténacité, au travers d’un cheminement de pensée on ne peut plus logique. Le phénomène initiatique induit un rapport à l’autre, au temps et à l’espace. Il produit un « ciment social » (p. 89). Cette formule résume bien quelles sont les « caractéristiques essentielles » qui, selon Durkheim, sont celles que le sociologue s’emploie à avoir pour saisir tout « être-ensemble ». Pour ma part j’ajouterais que c’est à partir de cela que l’on peut comprendre, comme le montre Frédéric Vincent l’élaboration de l’idéal communautaire.

 

Au travers d’un terme éclairant résumant le propos d’ensemble : « Philia » cette thèse fait bien ressortir le rôle que vont jouer les affects dans le lien social. Cela était, somme toute, marginalisé durant la modernité. Il est instructif de voir que l’on recommence à le prendre en considération. L’utilisation de l’expérience « affectio societatis », de plus en plus fréquente témoigne d’un tel glissement que les formes paroxystiques du phénomène initiatique  soulignent à loisir.

 

Toujours dans le même ordre d’idée, il est important de noter ce que Frédéric Vincent nomme  le « secret » comme produisant ce qui « relie les initiés entre eux «  (p. 89). J’y vois comme un écho à cette expression utilisée par Max Weber (dans un toute autre contexte, il faut le noter), celui d’ « émotionnel ». Ce dernier savait que l’émotionnel est une caractéristique générale, une ambiance spécifique, englobante et corrélative de la communauté (Gemeinde, Gemeinschaft). C’est en fonction de cela qu’est établie une homologie entre Harry Potter, Bilbo le Hobbit, en passant par Star Wars sans oublier le phénomène « Otaku » ( p. 292), et « l’imaginaire initiatique ». Cet imaginaire psychédélique représente, bien une coupe histologique du  rythme de la vie sociale.

 

Les pages sur les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) sont particulièrement instructives pour saisir ce qu’il en est de la postmodernité en acte. Et il est instructif de voir que les « Forum Internet » et autres virtualités de la cyberculture sont comme autant d’écho des archétypes ancestraux. C’est cette conjonction qui fait de la thèse de Frédéric Vincent un instrument de choix pour saisir l’actualité de l’initiation comme « forme » sociétale d’importance.

Le professeur Georges Bertin,  Directeur de recherches en Sciences sociales du CNAM des Pays de la Loire, prend à son tour la parole. Il précise que Monsieur Frédéric Vincent a présenté une thèse de doctorat constituée, sur le plan matériel, d’un volume de 428 pages (dont 10 pages d’annexes). L’ouvrage est organisé en quatre parties précédées d’une introduction de 29 pages et suivies d’une conclusion de 6 pages.La bibliographie comporte 120 titres d’ouvrages classés par genre. On peut noter sur un tel sujet quelques lacunes : les  travaux de l’anthropologue Leroi-Gourhan et notamment Le Geste et la parole et le Manifeste Archaïque de Laurent Dispot, comme les travaux du philosophe Jean-Jacques Wunenburger, Philosophie des Images et Pour une Utopie de la Raison ou encore les travaux sociologiques majeurs pour qui s’intéresse aux nouveaux réseaux de Manuel Castells, La galaxie Internet et Fin de Millénaire et, puisqu’il est question d’initiation, ceux de Arnold Van Gennep.

 

L’auteur se donne pour but de mettre en évidence, à partir d’un travail d’enquête sur les productions actuelles de l’Imaginaire (romans, jeux vidéo, cinéma, tv, cosplay…), la soif actuelle de quête initiatique et sa prégnance dans l’esprit de nos contemporains.

 

Ses grilles d’analyses, largement exposées dans son travail, empruntent à divers courants d’inspiration explorés dans leurs directions respectives :

  • La méthode de la complexité d’Edgar Morin,
  • L’analyse des figures mythiques rapportées à la fonction fantastique énoncée par Gilbert Durand,
  • La socio-anthropologie de l’imaginaire développée par des auteurs tels que Roger Caillois, Jean Duvignaud, Michel Maffesoli, Patrick Tacussel (son directeur de thèse), François Laplantine, David Le Breton… comme à la mythologie du héros de Joseph Campbell,
  • L’histoire des religions avec Mircea Eliade,
  • La théologie de Rudolf Bultmann,
  • L’analyse existentielle de l’imaginaire des images à partir des travaux d’Heidegger ou de Nietzsche.

 

C’est dire que Frédéric Vincent situe sa recherche dans une perspective résolument multiréférentielle, ayant intégré le fait que tout travail sur les productions imaginaires et mythologiques ne saurait faire l’impasse de la transversalité des approches, de leur « complémentarité » au sens de Devereux.

 

De notre point de vue, l’intérêt majeur de cette thèse, – outre le fait du choix de l’objet lui-même prolixe et parfois décrié comme genre mineur, alors qu’il concerne le plus grand nombre de nos concitoyens et notamment les jeunes -, réside dans la volonté, affirmée par l’auteur, de cette mise en perspective qu’il propose des travaux sur l’Imaginaire en les utilisant à bon escient. Elle constitue une véritable somme, originale et synthétique revue de la question. En avantage secondaire, il produit à ce sujet une synthèse remarquable et largement inédite de la notion d’ « imaginaire initiatique ».

 

La méthode elle-même consiste, à partir de l’observation participante, à analyser certaines productions de la postmodernité (Harry Potter de J.K. Rowling, Star Wars de Georges Lucas, Les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, l’oeuvre de Tolkien mise en images par Peter Jackson), Warcraft, et encore les émissions de téléréalité sur deux bases :

 

  • « L’expérience personnelle de l’auteur » (il sera intéressant de prolonger l’écrit par des éclairages sur sa propre implication et son analyse personnelle),
  • une « errance sur son terrain de recherche », conforme aux impératifs énoncés naguère par Michel Maffesoli dans « La Connaissance ordinaire ». (Il pourra également être éclairant pour le jury de préciser par quelques exemples les modalités de constitution du corpus et de recueil des données).

 

Le travail proposé est essentiellement de nature théorique, il s’est construit dans une relation à la socialité contemporaine telle qu’elle apparaît dans les images de nos vies, il ouvre de ce fait des systèmes d’interprétation croisés originaux et pertinents. Notamment, l’auteur souligne avec justesse le bouleversement qu’y introduisent les NTIC, centrant son intérêt sur les glissements qu’il observe dans les systèmes d’images qui s’imposent à nous, lorsque par exemple ils passent des projections imaginaires liés à l’oralité aux techniques les plus sophistiquées.

 

La revue de questions est rigoureuse, bien conduite, très documentée, l’expression est claire, les références abondent et la maîtrise du sujet manifeste. Elle débouche sur des constats sociologiques majeurs éclairant les pratiques observées qu’il nomme, insistant particulièrement sur le phénomène des communautés virtuelles qu’il décrit, sur la base de ses exemples, comme un des tournants de la socialité de base, laquelle passe de la verticalité à l’horizontalité. Il insiste à cet effet avec pertinence sur l’impact du mythe dans la construction sociale de la réalité.Une discussion est ici à l’œuvre que Frédéric Vincent introduit habilement sur la relation que les technostructures entretiennent aux vivants, sur les processus d’homogénéisation spectaculaires et sur leurs effets dans la fonction fantastique.

 

Pour notre part, nous nous interrogerons avec lui dans trois directions :

 

  1. ses analyses de la modernité et de ses effets sur l’imaginaire social,
  2. la question du religieux, du mythe et du sacré en lien avec la postmodernité,
  3. ce qu’il nomme le paradigme initiatique.

Elle porte d’abord sur la Modernité.

La modernité, écrit-il, liquide les mythes alors qu’une vie souterraine les réintroduit dans les productions imaginaires ce qui a pour effet de réenchanter la vie quotidienne, proposition à laquelle nous souscrivons volontiers. En effet la postmodernité est le lieu de zones de turbulences qu’accélèrent et amplifient les NTIC. Pourtant une interrogation demeure : avec leur explosion des images ne sont-elles pas, peut-être, une forme subtile de l’iconoclasme ? N’y a-t-il pas danger d’en nier l’importance superfétatoire qui aboutirait justement à nier l’imaginaire comme l’avait vu Gilbert Durand ? Il écrit, page 16, « les mass medias viennent élargir la zone imaginaire dans laquelle survivent mythes et images oppressées ». S’agit-il d’élargissement ou d’approfondissement ? Elargir ne comporte-t-il pas un risque de désymbolisation ?

 

A propos du religieux.

Ceci pose la question du religieux, la modernité ayant brouillé les repères, « par déclassification, désacralisation » dans la relation du symbolique au social et leur intégration dans la postmodernité entraîne de nouvelles perturbations dans les systèmes de symbolisation.

Page 20, l’auteur écrit que les individus ne se reconnaissent plus dans les figures classiques tels les saints des religions monothéistes, mais les religions monothéistes, n’ont-elles pas justement trouvé, par leur recours aux saints, une réponse au monothéisme absolu ? D’autre part les Héros et les Saints dont Bergson nous disait l’appel n’en sont-ils pas des formes renouvelées et qui se renouvellent, de mère Térésa à Gandhi via Luther King, Mandela ou l’abbé Pierre ? Dans ses travaux sur la sociologie du sport, Jean-Marie Brohm a également montré ce que les héros sportifs, sortes de demi-dieux, doivent à cette aire symbolique. L’auteur interpelle ces figures à propos de celles de héros fictifs incarnés à l’écran qui prennent plus de valeurs dans l’existence quotidienne que celles de personnages réels, transformations/actualisations bien connues comme celle de Lancelot du Lac au Grand Meaulnes… figures quasi-religieuses.

 

Les formes actuelles du religieux ont été abordées par la revue québecoise « Religiologiques » laquelle pose la religion en tant que « rapport, ou un « espace » entre les éléments d’un système de classification, tel qu’il procurerait à des individus, au sein d’une culture, comme une sorte de niveau supérieur de compréhension des choses – ce type même d’« intelligence du réel » que nous reconnaissons chez ceux de nos contemporains que, d’instinct, nous considérons comme « religieux ». De ce fait, le goût pointé par l’auteur chez certains de nos contemporains pour ce qu’il nomme les sciences occultes en tant que tendance sociétale observable ne constitue-t-il pas une sorte d’actualisation de la question du religieux, même s’il faut bien distinguer occultisme et ésotérisme, distinction qui pourrait être précisée. Elles forment sans doute un tribalisme aidant une catégorie incontournable de l’être-ensemble.

 

Sacré, Mythe et Postmodernité.

Le problème que pose la postmodernité consiste-t- il à rééquilibrer les systèmes d’images ou de permettre aux hommes d’accéder à celles qui les concernent, à leurs mythes, au sens jungien ? Cette question nous semble toute entière présente dans la question de l’être-ensemble  (ou de la reliance) traitée par l’auteur dans sa seconde partie. Nous souscrivons entièrement aux discussions qu’il ouvre lorsqu’il définit l’être-ensemble en partant d’une revue des théories d’Aristote, Rousseau et Hobbes, quand il insiste sur le fait que l’homo religiosus est rarement pris en compte en tant que tel. Ses définitions du sacré sont, de ce fait, très complètes lorsqu’il propose la notion de hiérophanie comme manifestation du sacré avec Eliade et en arrive à montrer comment le champ symbololoqique, constitutif du mythe se  constitue en reliance avec la vie quotidienne.

 

Après avoir déblayé les théories du naturalisme et de l’animisme il convient, avec Gilbert Durand, de la puissance du mythe et s’éloigne – nous le suivons dans cette voie – d’une approche trop logicienne du mythe en le considérant comme outil pragmatique. Ainsi, il montre, sur la base de ses observations, comment les fans en viennent à théâtraliser les héros dépassant des logiques closes. Harry Potter, les super héros, jouent analogiquement un rôle social certain quand nos concitoyens s’en saisissent en référence à leur propre scène personnelle, domestique, intime. Ceux–ci jouent le rôle du poteau symbolique des Achilpa en créant des espaces sacrés qui déterminent socialement l’individu, tel l’écran de pc qui porte les images d’Harry Potter ou du Christ transformant un objet profane (un pc) en objet symbolique en le reliant à la sphère du sacré. Poursuivant dans ce sens il évoque un autre exemple – la visite à Disneyland – qui nous semble pour autant plus sujet à caution dans la mesure où l’imaginaire proposé est considérablement réduit, un imaginaire de pacotille, préfabriqué, induit et induisant.

 

Question.

Le parc de Disneyland laisse-t-il place à la symbolisation comme processus ? Ne trouve-t-on pas là une limite de l’exercice de la référence à l’imaginaire (il serait ici leurrant) en fabriquant de manière factice – et non plus fictive ? Si la fiction laisse de la place à la béance du sens, le factice resterait en surface quand les objets ne serait proposés qu’à la seule contemplation, dans ce « pseudo monde à part » dont parlait Debord, lieu du regard abusé et de la fausse conscience ? Dans le village Bororo l’être-ensemble reconnaît pleinement l’espace réel qui a été investi par son image car il y participe réellement. A Disneyland, le rapport social n’est- il pas le lieu du seul investissement consommatoire et futil ? N’est il pas au cœur de l’irréalisme de la société réelle et en séparation absolue avec celle-ci, ce qui le déconnecterait du symbolique ?

 

C’est aussi la question institutionnelle des figures mythiques qui est, là, posée. Page 17 l’auteur nous explique que les figures mythiques refoulées refont surface (règne de Prométhée). Nous y souscrivons et soulignons l’analyse serrée que nous fait l’auteur sur la relation entre mythes institutionnalisés et mythes imaginaux. Et Frédéric Vincent écrit : « un mythe trop institutionnalisé s’use », on pourrait aussi écrire qu’il se réïfie ? Mais, l’institution n’est-elle pas elle-même un mythe ? Un modèle ou un idéal type jamais atteint, par exemple dans l’utopie et les images qu’elle véhicule ? Ainsi, il note, page 27 : « les institutions ont gagné leur efficacité sur une rationalisation de la vie en société et une désintégration des rites religieux ». Certes, mais, l’institution qui perçoit sa mission comme totalité close n’est-elle même irrationnelle ? A l’inverse, ne constitue-t-elle pas une nouvelle forme du religieux ? Il note l’opposition qu’il voit poindre entre la valeur Travail et des valeurs pour lui plus significatives telles l’errance, le ludique, l’imaginaire. C’est peut-être par cela même que se fait le pont avec les sociétés traditionnelles si l’on sait par exemple qu’au 14ème siècle le nombre de journées fériées était quasi équivalent à celui des jours travaillés… Ce disant, c’est bien la question du partage que nous faisons de nos significations imaginaires sociales qui pose problème. Ceci interroge donc l’Institution, nos institutions et nous amène à la troisième série de questions posées par l’auteur qui est celle de l’initiation, de ce qu’il nomme le réenchantement initiatique du monde, axe majeur de son travail.

 

La question de l’initiation et de l’imaginaire initiatique.

L’auteur souligne avec justesse le fait que l’homme moderne n’a pas à subir d’initiation, laquelle n’est plus le modèle sur lequel fonctionnait l’intégration dans la vie sociale. Il oppose à ce sujet avec raison l’école moderne fondée sur la science et ce que Gilbert Durand a nommé la perspective historiciste et l’école initiatique qui, elle, s’adresse à l’histoire sacrée pour comprendre les situations de la vie sociale. C’est une des forces de son travail que l’accent mis sur le paradigme initiatique, auquel nous contribuons également et qu’il rapporte à l’archétype jungien. Quand il cite Campbell et ce qu’il dit de l’expérience du corps humain et des transitions qu’il vit, il s’inscrit dans le droit fil des travaux que Gilbert Durand fonde sur les constats de l’école de réflexologie de Léningrad mettant en évidence les schèmes moteurs aux sources de la fonction imaginaire, le physiologique formant comme le soubassement de tout paradigme initiatique. On peut aussi évoquer les travaux de Leroi Gourhan (le Geste et la Parole) montrant que les signes du premier langage humain ne sont pas seulement imitatifs mais que c’est bien le symbolique qui nous distingue des autres espèces. Ainsi Frédéric Vincent converge avec l’anthropologue qui définissait l’anthropologie comme l’étude des modalités du comportement humain sans restriction d’époque ou de niveau culturel. Comme lui, il brise les barrières disciplinaires et inscrit son projet dans une anthropologie générale, d’où l’emploi de l’expression paradigme à propos de l’initiation, ce qui ne l’empêche pas d’aborder les particularités de son projet, avec peut-être une spécification moins présente selon les types de matériaux consultés : cinéma, jeux vidéos, etc..

 

Certes, il existe de nouvelles figures initiatiques proposées à nos contemporains  mais on peut se demander quelles sont les parts réciproques qu’y prennent les réalités du moment et l’imaginaire initiatique, forme (ou supports) et fond et comment cela symbolise-t-il ? (l’auteur parle de « rééquilibrage symbolique », encore faudrait-il en énoncer les conditions impératives). Et comment s’opère ce que l’auteur nomme la socialisation secondaire ?

 

Aussi, le spectaculaire intégré dans les pratiques décrites, est pour lui le lieu de sortie des rêves infantiles et l’initié aux jeux vidéos, par exemple, adhère à des catégories de l’initiation inédites. Il s ‘appuie pour ce faire sur un raisonnement bien construit :

 

  • Le besoin de détermination sociale entraîne la personne à percevoir l’existence mythique comme condition de possibilité de l’être-ensemble,
  • En procède une tentative de réenchantement initiatique du monde (bien décrit à travers les trois figures complémentaires de Dionysos, Hermés et Dédale),
  • Elle débouche sur une phénoménologie de l’image initiatique déclinée au travers des phases d’une analyse existentielle visant à une meilleure compréhension de l’errance initiatique du héros, de son voyage initiatique qui lui permet d’échapper au quotidien grâce aux systèmes d’images qu’il sollicite et parce qu’il intègre la question de la mort tragique de l’homme (à ce propos on peut regretter l’absence des travaux de Georges Lerbet sur l’initiation, « Dans le Tragique du monde », qui auraient trouvé ici leur place).

 

Deux questions se posent :

 

  • celle du spectacle, le spectacle qui éloigne les images sur des scènes séparées agit-il comme adjuvant ou tend-il à la facticité décrite, par exemple, par Baudrillard ?
  • celle de la part du divertissement dans les jeux vidéos, de l’existence inauthentique, des addictions toujours présentes dans ces conduites et qui produirait une sorte de contre-initiation, chez les jeunes, si l’on considère que celle-ci est mise sur la voie de la vie ? Y-a-t-il vraiment maîtrise grâce aux structures synthétiques, dynamiques et rythmiques ? Ou en reste-t-on à des structures plus régressives, enfermées, celles de la mère et de la grotte-refuge ?

 

Comment l’imaginaire social entre-t-il dans une nouvelle phase, sur la base de quelles épreuves dans la mesure où il n’est guère d’initiation sans épreuves ? Dans les conduites observées ici, où se passent ces épreuves ? Le retour au sacré passe par le chaos, certes, l’auteur l’écrit page 353. Castoriadis parle, lui, de magma comme lieu de genèse de ce qu’il nomme position, création, faire-être. Où voit-il cela dans les jeux vidéo, les films de Lucas, ou chez Spiderman ? Comment cela s’opère-t-il ? A quel prix ?

 

L’auteur conclut sur l’importance d’une socialisation secondaire, à partir des NTIC, laquelle conduirait les individus à développer des conduites inédites. Les images produites seraient-elles donc productrices d’une nouvelle culture, d’une contre-culture, ou encore d’une alter-culture ou sont-elles asservies à la sphère de la consommation ? Avons-nous des exemples ? Est-ce à cause de l’emploi du jeu, du masque décrit par Michel Maffesoli dans plusieurs de ses ouvrages ?

Enfin, le président du jury, Baudouin Decharneux, maître de recherches du FRS-FNRS de Belgique, professeur à l’ULB, membre de l’Académie Royale de Belgique, intervient et, après avoir remercié les autorités de l’Université de Montpellier et le directeur de thèse de la confiance qui lui est témoignée, souligne que la thèse de M. Frédéric Vincent intitulée « De l’imaginaire initiatique. Les mythes postmodernes ou le dépassement de l’existence tragique » est un travail de grande ampleur embrassant plusieurs des thèmes constitutifs de la postmodernité et les mettant en perspective de façon cohérente et originale. Aussi, l’auteur nous propose bel et bien une thèse, un fait suffisamment rare pour être mentionné.

 

La thèse de M. Frédéric Vincent est composée d’un volume de 428 pages (annexes et bibliographie incluses). Le style est clair et précis. Il oscille entre la recherche de rigueur lorsque la démonstration l’exige et un ton parfois plus ironique qui rend le récit attractif, voire captivant. Si le travail prend parfois résolument position en faveur de l’évolution postmoderne de la société, son architecture est cartésienne : quatre parties subdivisées en quatre chapitres confèrent à l’ensemble une allure classique qui n’aurait pas déplu aux esprits en quête more geometrico de savoir systématique. Le paradoxe entre la rigueur de la forme et la problématisation des thématiques abordées (un véritable foisonnement) est fécond. Le récipiendaire, en dépit de la difficulté du sujet, tire magistralement son épingle du jeu. La seule critique qu’on pourrait lui adresser, mais elle est anecdotique, est qu’il faut parfois être fort attentif aux louvoiements entre les sources, celles-ci n’étant pas toujours systématiquement rappelées dans les notes de bas de page. Il est vrai que ce travail, immédiatement publiable, est d’ores et déjà rédigé comme un livre.

 

Pour mener à bien son entreprise, Frédéric Vincent s’appuie sur des méthodes variées qu’il croise avec rigueur. Ainsi, il évoque tour à tour la méthode de la complexité d’Edgar Morin, les analyses de Gilbert Durand (mythodologie), la sociologie de l’imaginaire, l’histoire des religions de Mircea Eliade, la phénoménologie heideggérienne et ses prolongements bultmanniens. Du point de vue philosophique les pages consacrées à Heidegger et les commentaires sur le déconstructivisme nietzschéen sont remarquables. A l’intersection de la philosophie et de la sociologie, l’auteur fait la démonstration qu’il maîtrise fort bien ces deux champs de savoir qui, croisés, donnent à sa thèse une dimension créative et originale.

 

La sociologie existentiale qu’il propose est un essai de compréhension des relations sociales « à partir des tonalités (Stimmung) qui fondent le Dasein comme l’angoisse, l’ennui, la violence, le choc du contingent, l’errance ». En articulant ces thèmes autour de la notion d’imaginaire initiatique, il met en évidence ce qu’il  nomme « des tonalités existentiales » en montrant que celles-ci créent en quelque sorte un dispositif symbolique renforçant une nouvelle forme de cohésion sociale. Ceci est à proprement parler le cœur de la thèse et son caractère semble innovant sur le plan sociologique.

 

La thèse de Frédéric Vincent vise, au travers des recherches menées sur la sociologie de l’imaginaire, de mettre en exergue comment de nouvelles pratiques symboliques redécoupent les pratiques initiatiques au sein des sociétés contemporaines. Cette recherche aura certainement un impact sur les études des chercheurs s’efforçant de circonscrire les rites de la société occidentale et leur complexité. La notion d’initiation, souvent réduite ou marginalisée dans les études portant sur la culture contemporaine (post-traditionnelle) est ici réhabilitée non en tant que pratique, l’auteur reste fort prudent en matière de jugement de valeurs, mais bien en tant que schème permettant d’éclairer de nombreux rapports insolites unissant différentes strates constitutives d’une société en pleine mutation. Aussi, c’est une autre forme de raison, – oserait-on dire une raison éclatée -, qui prend le relais des discours classiques visant à circonscrire le fait social. En observant que les pratiques initiatiques prennent une autre forme dans notre société, le récipiendaire revisite la postmodernité en montrant comment la quête de l’imaginaire l’innerve mais aussi la structure. Profondément inspiré par les travaux de Gilbert Durand, il démontre que les différents courants constitutifs de la postmodernité sont innervés par des mythologies contradictoires et complémentaires. Le soupçon d’une articulation autour d’un imaginaire initiatique prolonge les démonstrations de ses maîtres et, nous semble-t-il, donne à celles-ci une dimension originale et féconde. Les pages consacrées aux pratiques virtuelles dont on sait l’importance en matière de façonnement des imaginaires contemporains sont remarquables tant sur le plan stylistique que socio-philosophique (pp. 379-400).

 

Ayant posé plusieurs questions à M. Vincent sur sa définition du terme structure, les nouvelles formes de sociabilités qu’induit la modification de l’imaginaire et sa paramétrisation virtuelle, le rejet de l’idéologie du progrès (mythe prométhéen), la différence entre initiation sociale et construite au sein du monde postmoderne, la science comme mythe constitutif de la pensée occidentale, celui-ci a répondu de façon claire se référant aux acquis de sa dissertation doctorale, mais aussi à son expérience personnelle.

 

Lors de la soutenance de son travail, M. Vincent a fait preuve d’un esprit synthétique et critique. Il a fort bien mis en évidence la méthodologie suivie, les limites de la tâche qu’il s’était assignée, l’apport de son travail. Les réponses aux questions furent claires et précises. Cette rigueur, assortie d’une grande qualité d’écoute et d’un esprit accueillant les critiques de façon constructive, dénote une maturité d’esprit et un engagement intellectuel dans la recherche remarquables.

 

Après avoir délibéré, le jury a jugé que la dissertation doctorale de Frédéric Vincent méritait la mention « Très honorable avec félicitations du jury ». Cette mention la plus haute a été conférée : 1) en raison de la qualité exceptionnelle du document tant sur le plan des idées défendues que sur celui de la forme. 2) En raison du caractère innovant du travail et de la maturité du chercheur. 3) Le caractère immédiatement publiable de la thèse. Le jury unanime a reconnu la qualité du travail concerné considérant que ce travail inspirera dans le futur des études dans un champ de recherches plus que prometteur.

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