La construction initiatique de soi dans les pratiques vidéoludiques

La civilisation moderne a cru pouvoir se débarrasser facilement de l’imaginaire, cette « folle du logis », cette « maîtresse d’erreurs », par la diffusion massive de l’iconoclasme dans l’esprit du temps. Elle s’est aussi largement avancée en prétendant la radicalité rationnelle du progrès technique. Ce dernier ne se réduit pas à véhiculer le rationalisme tant défendu par le progressisme de la modernité. Bien au contraire, on se rend compte à présent à quel point le progrès technique est devenu le moyen de remythologiser le monde, de le réenchanter, de réinvestir la magie, l’émotionnel et le fantastique dans la vie quotidienne. La légitimité que l’on accordait tant à la raison intelligible s’effondre peu à peu pour laisser place à une postmodernité qui peut se comprendre comme une « zone de haute pression imaginaire » (Gilbert Durand). On ne mesure pas encore la puissance magique et émotionnelle du progrès technique comme « moyen qu’aucune société n’avait jusqu’ici possédé dans l’histoire de l’espèce ».[1]

olympeLa modernité a insufflé une vague de désacralisation en Occident qui n’a pas épargné le modèle religieux et social de l’initiation. C’est en ce sens que Mircea Eliade entend une « disparition de l’initiation »,  du moins, une profonde dégradation des rites initiatiques. Cependant, Eliade observe que les thèmes initiatiques réapparaissent dans des romans, des nouvelles et autres poèmes.[2] Un imaginaire initiatique semble bien présent, non plus dans la vie institutionnelle, mais dans la vie quotidienne, notamment par le biais de la littérature et du cinéma. A cela, il faut ajouter l’émergence des nouveaux médias tels que le web, les Ipods, les Iphones et autres consoles vidéo. Tout un ensemble de médias participent à la diffusion d’un imaginaire initiatique qui se fait de plus en plus prégnant. Les succès des univers de Star Wars, d’Harry Potter, ou du Seigneur des anneaux en témoignent. Une « nostalgie de la renovatio initiatique » semble flagrante dans les sociétés postmodernes. Il faut ici entendre la postmodernité comme l’émergence d’une rêverie autour de la figure de l’initié (on rêve d’incarner un guerrier ou un sorcier, de subir des épreuves physiques, de se transformer, de se sentir appartenir à un clan) qui vient destituer les rêveries modernes autour de la réussite sociale (le goldenboy, le businessman ou encore la working girl). C’est en ce sens que Michel Maffesoli constate, par exemple, que la valeur travail ne fait plus résonance dans le cœur des jeunes générations.

Par contre, le désir d’être initié semble prégnant dans l’ère du temps. On rêve de devenir un initié, non pour être introduit à tel ou tel savoir, mais pour appartenir à un clan, à une tribu qui poursuit le même idéal de vie, celui de la quête initiatique, de l’aventure périlleuse qui transforme l’homme dans sa totalité. C’est ce rêve qui est mis en scène à travers certaines productions littéraires ou cinématographiques comme Harry Potter ou le Seigneur des anneaux. L’imaginaire initiatique participe donc à ce désir de devenir un initié, un homme transformé par les épreuves, un homme complet appartenant à une tribu bien spécifique. L’individu rêve plus que tout d’appartenir à une société secrète, d’entrer dans une existence mythique et fantastique, bref, de vivre des aventures extraordinaires. Tout ceci traduit bien sûr le besoin inhérent à tout homme de transcender les limites de la condition humaine. Si l’individu ne parvient pas à devenir réellement cet initié, cela ne l’empêche pas pour autant d’en rêver intensément. C’est de cela dont il est question ici. L’individu des sociétés contemporaines est inévitablement un consommateur, un citoyen, un acteur du monde du travail. Il est tout sauf un initié, un chevalier ou un héros. Et pourtant, tout un imaginaire initiatique vient se greffer dans son quotidien. Ce que l’on veut signifier ici, c’est que ce qui est en apparence de l’ordre du rêve, peut tout simplement se métamorphoser, se matérialiser sous la forme de produits ou de pratiques sociales. Notre recherche souhaite montrer que l’imaginaire initiatique fait partie intégrante de la réalité sociale, et qu’il ne se limite pas à une simple rêverie. Cet imaginaire possède des conséquences évidentes sur des manières d’être dans le monde.

Le besoin d’être initié, d’avoir des compagnons de route, de participer à des épreuves qui bouleversent ce que vous êtes (métanoïa) est un besoin universel qui se loge en tout un chacun. Ce besoin peut, comme tout autre besoin spirituel, être occulté ou condamné par d’autres représentations sociales du monde. La modernité a montré sa capacité à dégrader, amoindrir, vilipender un tel besoin. Cependant, ce dernier continue à persister dans l’ « humus » (ce qui ne peut être éradiqué). C’est en ce sens que nous souhaitons comprendre la postmodernité comme le surgissement d’une tendance sociétale qui exprime le souhait de retrouver et de satisfaire d’antiques besoins comme celui de devenir un initié, de cheminer sur une voie initiatique. On comprend mieux alors la place toute particulière du cinéma, de la littérature ou des jeux vidéo dans les pratiques quotidiennes. L’initiation n’a pas pour but d‘introduire l’individu dans un monde angélique et merveilleux, mais au contraire de le sortir de sa représentation infantile du monde (dreaming innocence) en lui révélant la réalité existentiale du Dasein heideggerien (être-là). C’est à partir d’une telle révélation que la tribu détermine socialement l’individu. L’initié est celui qui est sorti de ses rêves infantiles, qui a éprouvé les conditions tragiques de son existence et qui peut alors assurer un rôle social dans la communauté.

L’imaginaire initiatique dévoile à l’individu les conditions tragiques dans lesquelles évolue le jeune héros. En ce sens, nous pensons que lire un roman initiatique, regarder un film comme Star Wars ou encore participer à un jeu en ligne comme World of Warcraft[3] ne peut pas se réduire simplement à des pratiques anodines relevant purement du divertissement. Il y a derrière ces pratiques sociales à l’apparence superficielle, des implications beaucoup plus profondes.

Le jeu en ligne World of Warcraft offre l’exemple d’une réalité virtuelle qui permet à l’individu de se projeter dans un autre monde en puissance qui reproduit le plus exactement possible le monde réel ou bien un univers fantastique et fictif. De plus, la particularité du  joueur en ligne est d’être confronté, non seulement à sa propre immersion dans une réalité virtuelle, mais aussi à celle d’autrui. La présence d’autrui apparaît sous un nouveau jour : il n’est plus simplement cette présence physique, ce corps, cette voix, cette odeur que je connais habituellement, il est devenu un avatar. On comprend dès lors qu’une nouvelle forme de socialisation se dessine : la cybersocialité. L’avatar devient cet Autre virtuel qui cache la présence d’autrui, et sur lequel je dois désormais compter pour construire le social.

Le phénomène d’immersion traduit une articulation entre le réel et le virtuel. Le sujet peut ainsi se détacher de son monde habituel, de son environnement social (famille, travail, école) pour intégrer une nouvelle présence au monde. Nous rencontrons généralement trois types de réalités virtuelles :

  • Reproduction réaliste de l’environnement social
  • Développement d’univers imaginaires fantastiques
  • Partage d’univers animés collectivement sur Internet

Avec un réalisme de plus en plus performant, le principe d’immersion est totale : le joueur parvient à éprouver une sensation réelle de marcher dans l’image, de vivre pleinement l’univers imaginaire. La distance entre le réel et le virtuel diminue au profit d’une immersion absolue du joueur dans une existence « autre ». S’aventurer dans une jungle hostile ou dans un temple de la Grèce antique, combattre aux côtés du roi Arthur, incarner Luke Skywalker qui affronte Darth Vader, tout cela devient possible. Cette illusion positive que procurent les images par identification, la pratique vidéoludique offre désormais les moyens de la ressentir et de la vivre pleinement. Les possibilités de projection-identification qu’offrent les réalités virtuelles permettent au joueur en ligne d’accéder à quelque chose qui est radicalement différent de son existence quotidienne : il lui est même devenue possible de toucher le domaine du sacré. Un univers comme World of Warcraft présente tout un ensemble d’éléments symboliques et mythiques. Ceci est significatif, car nous pensons avec Durkheim, que ce n’est pas seulement l’expérience religieuse qui se fonde sur un symbolisme, mais l’expérience sociale dans sa totalité. « Ainsi la vie sociale, sous tous ses aspects et à tous les moments de son histoire, n’est possible que grâce à un vaste symbolisme ».[4] Le sacré n’est donc pas seulement une affaire de la vie religieuse, il est pleinement diffusé dans la vie sociale, il en est le ciment. Le sacré comble le vide de la réalité opaque, pourrait-on dire. Il nous faut peut-être revenir sur l’œuvre de Mircea Eliade si nous voulons comprendre les intentions du sacré. Pour Mircea Eliade, le sacré survient dans la mesure où l’homme est projeté en dehors de la réalité opaque. Eliade définit le sacré comme étant ce qui n’est pas terrestre et opaque, ce qui n’appartient pas à notre monde, mais qui se manifeste à travers les choses de notre monde. Le terme de « hiérophanie » traduit précisément la manière dont le sacré se manifeste à travers un objet profane : « C’est toujours le même acte mystérieux : la manifestation de quelque chose de « tout autre », d’une réalité qui n’appartient pas à notre monde, dans des objets qui font partie intégrante de notre monde « naturel » et « profane » ».[5] Une chose est dite sacrée lorsqu’un imaginaire fantastique y a été investi. Ce sont précisément les hiérophanies, c’est-à-dire les manifestations du sacré, qui permettent de bousculer la perception ontologique de l’homme. Un autre monde possible, voilà ce qui caractérise le sacré. C’est en ce sens que tout mythe est sacré puisqu’il se situe dans l’appréhension d’un autre monde, d’une existence surnaturelle fondé sur les choses naturelles, et surtout d’une volonté de se détacher de la réalité opaque dépourvue de sens. Une chose, un rite ou un mythe se définissent en tant que hiérophanie lorsque l’homme fait surgir le sacré (l’imaginaire fantastique) possible en eux. Il faut à présent accepter l’idée que le sacré puisse se manifester à travers les réalités virtuelles, puisqu’il peut s’exprimer potentiellement dans n’importe quel objet.

La réalité virtuelle en tant que hiérophanie produit ainsi une distance avec la réalité opaque, elle ne la supplante pas mais s’y superpose. De plus, le joueur, pour accéder à cette autre existence, doit accepter un certain nombre d’épreuves initiatiques. Un monde fictionnel tel que World of Warcraft crée tout d’abord un vide entre le Moi et le monde profane (dépourvue d’imaginaire), ce qui peut amener le joueur à ressentir une angoisse, un vertige, une perte de soi. Le phénomène d’immersion révèle au joueur la possibilité de son impossibilité. Dans World of Warcraft, le joueur se découvre comme « sentinelle du néant », puisqu’il est à chaque seconde confronté à la mort potentielle de son avatar. L’objectif du jeu en ligne World of Warcraft consiste à parcourir un univers, à poursuivre des quêtes, et à combattre des ennemis qui vous rappellent constamment la finitude qui est en vous. C’est le fameux « game over » qui traduit la fin d’un temps. Ceci fait aussi écho à l’épreuve de la mort initiatique qui est le moment clef de toute initiation. Seule la confrontation à l’impossible peut transformer ontologiquement le régime existentiel d’un homme. Par cette épreuve, le sujet profane sort de lui-même et incarne cet autre, un avatar. Le sujet profane est devenu un autre : ce qui a été ne sera plus. Les épreuves initiatiques consistent généralement à faire mourir symboliquement, et donc virtuellement, le néophyte afin de le faire renaître à une nouvelle existence. La mort initiatique définit l’idée d’un dépassement de la réalité opaque, du sentiment tragique de l’existence humaine. Dans World of Warcraft, j’ai à accepter ma propre mort pour accéder à un autre type d’existence. Ce n’est plus simplement une incarnation virtuelle qui marche devant moi à l’écran, mais c’est bien moi qui marche dans l’image. Le joueur en ligne doit apprendre à mourir pour accéder aux niveaux supérieurs du jeu. Je meurs pour mieux renaître, pour mieux progresser. Je me perds pour accéder à un Soi plus vaste.

Les jeux en ligne offrent donc de nouvelles possibilités, notamment celles qui combinent gameplay traditionnel et socialité virtuelle. Il faut abandonner l’idée du joueur solitaire qui s’exclut délibérément des autres. En effet, avec la révolution du Net, un joueur s’ouvre nécessairement à des communautés virtuelles qui sont des groupes sociaux à part entière, pour la simple raison qu’un joueur solitaire ne pourrait progresser dans le jeu sans l’aide d’autrui. World of Warcraft qui est le record mondial de l’histoire du jeu vidéo (on comptabilise plus de 10 millions de joueurs en 2008) repose sur une telle idée. Le joueur crée des amitiés à partir d’actes virtuels qui consistent pour la plupart à réussir une mission, combattre un démon, ou sauver un villageois en détresse. Le but de World of Warcraft est de favoriser le « travail en équipe ». Il s’agit entre autres de former des clans avec d’autres joueurs pour progresser dans les missions.

Tout un imaginaire initiatique alimente le monde de World of Warcraft et donne au joueur la possibilité de transcender son quotidien. L’imaginaireworld-of-warcraft-mists-of-pandaria-pc-4 initiatique va devenir la source intarissable de reliances multiples. L’aventure initiatique en ligne se vit ainsi à plusieurs. A noter aussi, qu’à la différence des jeux vidéo traditionnels qui incluent une fin, World of Warcraft n’en possède pas : le jeu ne s’arrête jamais, il est sans fin jusqu’à ce que le joueur en décide autrement. « Si le jeu est fondé sur la progression individuelle du joueur mesurée par le « niveau d’expérience » de son avatar, plus de 30% des joueurs ont atteint le dernier niveau d’expérience et continuent pourtant à jouer ».[6] Si le joueur s’immerge seul dans un univers virtuel, c’est néanmoins avec autrui qu’il combat les démons, réalise sa quête. Qui n’a jamais rêvé de partager une quête initiatique avec des compagnons ? Qui n’a jamais rêvé d’incarner Frodon, le porteur de l’anneau, et de vibrer en commun autour d’une aventure extraordinaire ?  World of Warcraft propose au joueur de rencontrer autrui à travers une quête initiatique. La relation à l’autre ne se construit plus par rapport à un contrat social, mais bien à travers les multiples quêtes initiatiques que proposent les jeux en ligne. La cybersocialité est là. Les joueurs organisent des rendez-vous ponctuels directement dans les mondes virtuels. Les missions à remplir trop souvent difficiles incitent le joueur à s’unir à des compagnons de route. Ainsi, la réussite d’une mission dépend de la manière dont les joueurs parviennent à coopérer ensemble. Inutile de préciser que ces rendez-vous ponctuels planifiés par les joueurs sont fondamentaux pour la progression dans le jeu. Cette cybersocialité vient ainsi remettre en question le fondement même de la sociabilité traditionnelle — celle notamment qui maintient la famille. Le jeu en ligne demande un temps d’investissement assez considérable. Les missions sont parfois longues et difficiles et impliquent une certaine habileté technique obtenue après de longues heures de pratique.

L’identification à son avatar permet d’idéaliser son Moi dans des perspectives que l’on ne retrouve pas toujours dans la vie sociale. Non seulement, l’individu anonyme peut devenir le héros qu’il ne sera jamais à l’école ou dans sa vie professionnelle, mais il peut aussi l’être davantage aux yeux des joueurs en ligne. Effectivement, le jeu en ligne ouvre la possibilité au joueur de bénéficier de la reconnaissance des autres joueurs, lorsque par exemple j’aide mon clan à remporter une mission. L’avatar peut évoluer, subir des épreuves qui le transforment physiquement et spirituellement. Avec l’expérience, mon avatar peut acquérir une force magique de plus en plus conséquente. Cependant, c’est aussi Moi à travers mon avatar qui subis ces transformations éventuelles.

L’imaginaire initiatique à travers les réalités virtuelles entraîne l’individu dans un véritable lieu de reconnaissance devenue inaccessible dans la vie courante. Les institutions ne permettent plus aussi facilement la reconnaissance dont tout un chacun a besoin. La pratique vidéoludique favorise la progression et la victoire du joueur, par le simple fait que l’ordinateur est devenu cet adversaire idéal sachant se retirer pour valoriser le joueur. De plus, l’ordinateur n’est jamais un mauvais perdant. Il accepte également volontiers l’usage d’astuces, de codes, de solutions et autres moyens de modifier la difficulté du jeu. Victoire et reconnaissance sont à la portée de tout un chacun. La cybersocialité vient quelque peu bouleverser les sociabilités traditionnelles. Plus le joueur investit son temps dans les jeux en ligne, et plus le temps de socialisation consacré à la famille s’efface. On voit bien que l’idée qu’un joueur désire passer plus de temps avec des acteurs virtuels qu’avec les membres de sa famille est une idée qui dérange. Il ne nous revient pas de poser un jugement moral sur ces nouvelles socialisations. Le rôle du sociologue se limite à dessiner les contours d’un phénomène social, à comprendre son mécanisme, sa logique, à repérer la manière dont s’articulent les relations sociales.

Rappelons que le jeu en ligne offre à des individus à la fois éloignés géographiquement  et culturellement de se relier, de se rencontrer. Cependant, il nous revient de nous interroger sur ce qui rend possible une telle reliance sociale. Dans World of Warcraft, c’est précisément la quête initiatique qui est l’objet autour duquel les joueurs se relient. Ainsi, des clans se constituent ici et là dont l’objectif principal réside dans la progression de l’aventure. On observe aussi la création des « guildes » (une sorte de communauté dans la communauté), des regroupements de joueurs selon le niveau d’expérience. Les « guildes » sont des confréries qui réunissent des joueurs expérimentés et permettent aux débutants de bénéficier de leur aide. Un tel groupe social implique tout un ensemble de codes et de devoirs que nul membre ne doit transgresser sous peine d’être exclu. L’assiduité fait partie intégrante des devoirs que sous-entend l’appartenance à une « guilde ». D’où le conflit naissant entre la vie familiale et la vie en ligne. La sagesse populaire évoque ainsi l’absence de vie dans ce type de socialisation en ligne : « No Life ». Le jeu en ligne renforce, consolide les relations sociales déjà existantes dans la vie courante. C’est l’occasion de participer à une aventure commune pleine de magie et d’épreuves. Tout ce que comprend cette aventure, les difficultés traversées, les actes héroïques, les victoires et les défaites, sont ensuite partagés autour de discussions passionnées qui viennent réenchanter la vie sociale.

Nous sommes amener à constater que l’imaginaire initiatique incite moins à rêver sa vie qu’à vivre ses rêves. Sur la critique philosophique de l’imaginaire, il a toujours été question de montrer comment ce dernier coupe l’individu du réel. Il s’agit, selon notre position, de dépasser cette critique, et de démontrer au contraire les nombreuses interactions entre imaginaire et réel. Depuis Platon, la tradition philosophique n’a cessé de s’acharner sur l’imaginaire. Elle a toujours insisté sur cette stigmatisation volontaire de l’imagination et la définit comme une « folle du logis » qui plonge indubitablement les hommes dans le mensonge et l’erreur. Michel Maffesoli, dans la continuité de Gilbert Durand, tente de démontrer le contraire, c’est-à-dire la force vitale de l’imaginaire : « Imaginaire et réel dans leur mutuelle fécondation et dans leur instabilité permanente sont les conditions de possibilité de ce qu’il est convenu d’appeler l’existence ».[7]

Qu’on le veuille ou non, l’imaginaire initiatique est un des moyens efficaces de combattre le nihilisme errant de nos sociétés contemporaines. Il est la possibilité la plus intime du réenchantement du monde. Poétiser le monde, le bâtir et l’habiter, c’est inscrire indéniablement un imaginaire qui compose et donne sens au corps social lui-même.

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[1] Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1998 (1964), p. 123.

[2] Cf. Mircea Eliade, La Nostalgie des Origines, Paris, Gallimard, 1971.

[3] World of Warcraft est le jeu en ligne le plus fréquenté au monde. L’univers fantastique dans lequel les joueurs évoluent évoque étrangement le monde du Seigneur des anneaux de Tolkien. Dans cette réalité virtuelle, deux mondes s’affrontent, la Horde et l’Alliance. Le joueur qui doit s’acquitter d’un abonnement mensuel doit choisir un avatar parmi toute une gamme de races (humains, mort-vivants, trolls, gnomes…) et lui assigner une fonction (sorcier, guerrier, druide…). Le but de ce jeu en ligne est de faire évoluer son avatar, de lui faire gagner des points d’expérience en poursuivant des quêtes.

[4] Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 2005, p. 331.

[5] Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane, Paris, Gallimard, coll. folio essais, 1991, p. 15.

[6] Maxime Coulombe, Le monde sans fin des jeux vidéo, Paris, PUF, 2010, p. 22.

[7] Michel Maffesoli, « La logique de la domination » in Après la modernité, Paris, CNRS éditions, 2008, p. 90.

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