Quelle spiritualité pour changer le monde? (revue Acropolis)

1°)       Etes-vous d’accord, comme le dit André Malraux ou Saint Exupéry que la préoccupation du XXIe siècle devrait être la spiritualité ? Que représente-t-elle pour vous ?

Je crois effectivement que la spiritualité, c’est-à-dire notre capacité à transcender individuellement et collectivement notre existence,  est devenue la préoccupation majeure de notre entrée dans le troisième millénaire. Plus qu’une préoccupation, je dirai que du point de vue psychanalytique, il s’agit surtout d’un retour du refoulé qui risque malheureusement de provoquer de nombreux désastres à l’instar de ces jeunes qui s’engagent dans le djihadisme. Comme le disait le regretté Gilbert Durand, notre société occidentale a été très démythisante. Si le scientisme a écarté toute pensée mythique ou analogique de la place publique, il faut aussi rappeler que les religions monothéistes sont à l’initiative d’une fonctionnarisation d’envergure de la spiritualité. Selon Mircea Eliade, la modernité a engendré une « dégradation du sacré » et une « disparition de l’initiation » sans précédent. Les institutions surplombantes ont poussé les hommes et les femmes à refouler leurs besoins spirituels pour mieux épouser un projet de société fondé exclusivement sur le rationalisme économique et le matérialisme. Mais ce « règne de la quantité » (René Guenon) est aujourd’hui en fin de vie. Il ne fonctionne plus et ne permet plus de refouler nos besoins spirituels. Du coup, ces derniers resurgissent de différentes façons, parfois brutales à l’image du fanatisme religieux, parfois marginales à travers des productions imaginaires et culturelles (Star Wars, Le Seigneur des anneaux, Harry Potter, Matrix, etc) et des nouvelles pratiques sociales (économie collaborative, troc, nomadisme virtuel, etc). C’est le Techno-Age qui émerge devant nous et qui conjugue à la fois spiritualité et nouvelles technologies pour le meilleur et pour le pire.

 2°) Quelles sont vos idées pour réenchanter le monde ? Quelles seraient les valeurs à vivre nécessaires à ce réenchantement ?

Si l’on observe attentivement nos mythologies contemporaines, on s’aperçoit que le thème de l’initiation est devenu récurrent, voir omniprésent. Luke Skywalker, Bilbo Baggins, Katniss Everdeen, Harry Potter, Son Goku, Monkey D. Luffy sont tous des personnages fictionnels dont les aventures évoquent le “voyage du héros” défini selon l’anthropologue jungien Joseph Campbell. Ce voyage initiatique se caractérise par 3 grandes étapes : l’appel de l’aventure (le héros quitte le cocon familial), l’initiation (l’ensemble des épreuves physiques et symboliques que le héros devra traverser pour accéder à l’objet de sa quête) et le retour dans la vie ordinaire (le héros revient parmi les siens en tant qu’être complet). Le désir initiatique est devenu prégnant chez nos jeunes qui ont cessé de croire aux bienfaits de la croissance économique et au carriérisme de tout ordre préférant l’errance virtuelle et le retour à une forme ludique et onirique de la vie quotidienne. Vous l’aurez compris, l’initiation, l’émotionnel, le ludique et l’imaginaire sont les valeurs indispensables au réenchantement de notre monde.

3°) Quelles types d’actions concrètes préconisez-vous pour une civilisation plus centrée sur le spirituel ?

Tout d’abord, je crois qu’il faut être capable dans un premier temps d’abandonner cette obsession pour le tout économique et la bureaucratie excessive ambiante qui tendent à polluer notre vie quotidienne. A la manière des stoïciens, des cyniques ou des bouddhistes, il faut apprendre le détachement par rapport aux choses matérielles et éphémères. Diogène de Sinope nous invite par exemple à rechercher les joies pérennes et les choses éternelles à la différence des puissants. La nature, l’amour, l’amitié, le jeu, l’élan vital, l’humour révèlent ainsi ce qui perdure dans le temps contrairement à tout ce que propose la société de consommation. Pour se recentrer sur une société plus spirituelle, l’homme doit se tourner vers une écopsychologie libératrice pour reprendre la formule de Théodore Roszak qui aurait pour objectif de réconcilier Raison et Imagination, de permettre à tout à un chacun de renouer avec la nature, avec notre Terre-Mère. Décroissance, retour à la nature, don de soi, recherche des choses éternelles et pérennes, quête du Soi (l’individuation selon Jung) ou initiation sont à mon sens les actions concrètes que l’homme du troisième millénaire doit mener pour réenchanter notre monde sous le signe d’une spiritualité contradictorielle, adogmatique et pluridimensionnelle.

Frédéric Vincent (psychanalyste à Paris 75020)

 

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